janvier 31, 2019

Nommer le présent

douze façons de commencer à décoder 2019 et les années à suivre

Déchiffrer les tendances scientifiques et technologiques émergentes fait partie intégrante du travail du Groupe ETC. Nous voulons saisir les implications des nouvelles réalités qui se font jour autour de nous, qu’il s’agisse d’intelligence artificielle, d’ingénierie sociale, de formes extrêmes de modifications génétiques, de concentration d’entreprises, de surveillance, d’autoritarisme ou de géoingénierie.

Bien qu’il puisse être tentant — voire souvent utile — de recourir aux concepts du passé pour comprendre le présent et le futur, nous souhaitons également ouvrir un espace pour tenter de nommer ce qui est nouveau dans les situations auxquelles nous sommes confrontés. Et ce même si nous ne trouvons pas toujours les mots ni ne possédons les outils nécessaires pour décrire un moment si convulsé.

Vous trouverez ci-après douze hypothèses du Groupe ETC qui reflètent notre vision du monde pour 2019 et les années à suivre. Parfois, ces réflexions sont un avant-goût des recherches et des analyses que nous espérons publier cette année. Nous sommes ravis de vous les faire partager et attendons avec impatience les débats et discussions à venir.

1. Le féodalisme du Big Data

Le paradoxe du contrôle croissant exercé par nos nouveaux seigneurs de la Silicon Valley réside dans le fait que la plupart des gens, du moins en théorie, y ont consenti. Chaque utilisateur de Facebook, d’Amazon, d’Alibaba, de Google et d’Apple a « volontairement » accepté certaines conditions générales de vente en cochant une petite case sur le net. Au lieu de nous obliger à acheter — la tactique préférée des monopoles de logiciels au cours des dernières décennies du XXème siècle —, les nouveaux seigneurs féodaux de l’information nous séduisent sur le net et via nos smartphones pour amasser des données et orchestrer le servage qui façonne nos comportements en créant des interfaces attrayantes et en offrant leurs services « gratuitement ». En réalité, nous en payons déjà le prix. Nous avons laissé les entreprises de plateformes de données concentrer l’immense contrôle sur les actifs les plus précieux de l’économie de l’information : elles peuvent ainsi anticiper les nouvelles tendances, tout manipuler — des mouvements politiques aux schémas de circulation — et réaliser des bénéfices conséquents.

L’étape actuelle d’acquisition de mégadonnées donnera encore plus de pouvoir aux géants de l’information : ils collectent en effet également des données relevant de l’écologie, de l’agriculture et de l’environnement qu’ils traitent et utilisent pour accroître les bénéfices des entreprises. Bientôt, plus d’un billion de capteurs générant des bronto-octets (mille milliards de milliards d’octets) de données seront intégrés à nos aliments, à nos activités quotidiennes, à nos systèmes de transport et même à nos corps, ce qui octroiera à la Silicon Valley une puissance absolue quant aux les détails de nos vies individuelles, mais aussi sur l’environnement, l’alimentation et les gènes qui les façonnent. Le fait qu’Alphabet, Alibaba et Amazon se déplacent d’internet pour aller vers l’extérieur est l’équivalent d’une poignée de monarques accaparant la plupart des terres communes de la planète avant même que tout le monde ne se rende compte de la valeur de ces terres. Ce qui est étrange, c’est que nous donnons tous notre accord, en général sans hésiter, pour mettre à leur disposition ce contrôle et que nous observons cette invasion des plateformes de données comme s’il s’agissait de quelque chose d’inévitable, qui serait souhaitable. Les barons de la Silicon Valley n’ont pas eu besoin de nous forcer à lâcher nos chères ressources communautaires puisque bon nombre d’entre nous les avions déjà abandonnées volontairement.

2. Un capitalisme sans foi ni loi

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Le pacte établi à la fin du XXème siècle entre les gouvernements néolibéraux et les populations des économies les plus industrialisées reposait sur l’idée que les élites au pouvoir avaient besoin des masses pour gérer leurs systèmes de production et qu’elles leur offriraient en retour des lois justes et la sécurité. Mais l’accélération de l’intelligence artificielle (IA), des blockchains et de l’automatisation remet tout cela en question : les oligarchies des entreprises n’ont plus l’air d’avoir besoin des masses pour faire fonctionner leurs économies. Elles semblent même ne plus avoir besoin de leurs bon vieux espions (humains) ni de leurs loyaux soldats pour réprimer les dissensions. Le résultat de tout cela ? Le néolibéralisme semble ne plus avoir la cote et c’est un capitalisme sans foi ni loi qui s’implante. Ravagée par la déforestation et le feu, l’Amazonie fait face à une attaque meurtrière pendant qu’Amazon étend agressivement son empire de données et de distribution. Alors que le compromis d’après-guerre s’effondre dans les pays coloniaux riches, les politiciens cherchent naturellement à accuser les personnes issues de l’immigration, les réfugiés, ainsi que les groupes et religions marginalisés de l’accumulation de crises économiques. Les réseaux sociaux ont trouvé de nouveaux outils pour transformer le doute et le manque d’information en haine. La montée du populisme autoritaire (Trump, Bolsonaro, Venezuela, Brexit) a-t-elle quelque chose à voir avec ce panorama technologique en mutation qui est le nôtre ? Pour le Groupe ETC, cela ne fait aucun doute.

3. L’ingénierie mémétique ou l’intolérance morcelée

Il y a seize ans, le Groupe ETC avait averti que la National Science Foundation américaine s’intéressait de très près à ce qu’elle avait alors appelé « l’ingénierie mémétique » : le recours à l’analyse du Big data et aux technologies neuronales pour comprendre en temps réel la façon dont les idées se développent, et comment ce processus pouvait être manipulé de l’extérieur. En 2003, des législateurs des Etats-Unis disaient rêver que la science mémétique puisse les « aider à faire face aux menaces à la suprématie culturelle américaine ». Terrifiant. L’industrie du sondage surveille les attitudes des populations depuis des dizaines d’années mais aujourd’hui, les ingénieurs de la mémétique de l’ère Trump surfent sur une vague de données amassées sur les réseaux sociaux et les bases de données politiques. Les pirates des grandes entreprises sont dotés d’une capacité sans précédent à faire appel à nos pires démons et sectarismes — les sentiments anti-migrants en tête de liste. Nous savons aujourd’hui qu’en traquant et en interprétant les attitudes et en créant des profils de personnalité, des entreprises telles que Cambridge Analytica ont mis au point des méthodes pour manipuler à grande échelle des audiences stratégiques. Les plateformes numériques sont utilisées pour tester la résistance des populations à des mesures politiques extrêmes — qu’il s’agisse d’enfants emprisonnés dans des cages à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis ou du pillage de la forêt tropicale au Brésil. Ces sociétés, souvent parrainées par des entreprises de la Silicon Valley, ont rationnalisé et amplifié la destruction du tissu social promue par la droite libérale en recourant à des algorithmes.

L’utilisation des médias pour détourner le public de ses véritables ennemis est, évidemment, une pratique consacrée des élites au pouvoir. Mais les techniques de manipulation fort sophistiquées qui utilisent des algorithmes de sélection de flux d’information, des botnets et de fausses identités sur le net évoluent très rapidement, motivées par les bénéfices des entreprises — la transparence y fait d’ailleurs cruellement défaut. Le fait que Facebook ait admis en novembre 2018 que sa plateforme avait été utilisée pour alimenter le soutien au génocide des musulmans au Myanmar nous fait nous demander jusqu’à quel point les politiques des algorithmes sont aux commandes dans le monde entier. L’année où nous apprenons que l’équipe nationale belge de football était passée à l’apprentissage automatique pour peaufiner ses stratégies novatrices et couronnées de succès en Coupe du monde, nous nous demandons également si certains des messages et initiatives politiques bizarres émanant des gouvernements les plus puissants au monde ne sont pas des emportements irréfléchis sur twitter comme on pourrait le croire, mais plutôt le résultat d’une analyse stratégique basée sur l’IA et suggérant des jeux de pouvoir particulièrement contre-intuitifs. Les leaders réactionnaires sont-ils des fous belliqueux, des pions sur un jeu d’échecs en 3D activé par l’IA ou un insondable mélange des deux ? En 2019, il va nous falloir trouver la réponse à cette question. Le mème à suivre : #robogouv.

4. L’intelligence artificielle et le fatum

Les personnes au pouvoir ont une façon de mettre en avant des idées (et les intellectuels qui les promeuvent) qui donnent l’impression que leurs programmes politiques et économiques sont inévitables, prédestinés. Dans les années 90, la « fin de l’histoire » de Fukuyama et l’« aucune alternative n’est possible » de Thatcher étaient les idées puissantes qui visaient à désarmer les dissensions sociales. Dans les deux cas, il s’agissait de revendiquer et d’acclamer l’inévitable domination du modèle économique néolibéral. De nos jours, le néolibéralisme a perdu de son éclat mais la Silicon Valley a adopté les mêmes méthodes pour ouvrir la voie à la montée en puissance de l’IA basée sur le Big Data contrôlé par les entreprises. Aujourd’hui, c’est à l’hypothèse de la « singularité » que l’on a affaire : l’invention d’une super-intelligence artificielle déclenchera brusquement une croissance technologique effrénée. Ainsi, l’un des nouveaux défenseurs de l’inévitable, Yuval Noah Harari, a récemment déclaré au quotidien The Guardian : « Il est tout simplement impossible d’arrêter le progrès technologique ». « Même si un pays cesse de faire de la recherche en intelligence artificielle, d’autres pays continueront à le faire ». Les analyses de Harari sont très nuancées mais des versions plus grossières de la thèse de l’inévitabilité abondent dans les entreprises de relations publiques embauchées par des start-ups d’IA, de blockchains et de génomique. Ce type de discours, qu’il provienne d’un végan méditant deux heures par jour (comme Harari) ou d’un expert titubant au sortir de l’open bar de l’entreprise, confisquent ce qui est sans doute l’outil le plus puissant de celles et ceux dont les modes de vies et moyens de subsistance sont menacés par les nouvelles technologies : la capacité de dire non, clairement, haut et fort (Le Groupe ETC traite depuis plus de vingt ans le sujet de l’anéantissement de la dissidence dû aux moyens technologiques). Rien, de tout ce qui a trait à la bulle financière de l’IA ou de la génomique (d’une valeur de plusieurs milliards de dollars) n’est inévitable ; rien, de ses liens avec les empires de données anarcho-féodaux et les sectarismes, n’est inévitable. L’émergence de la technologie démocratique délibérative (voir ci-dessous) peut être une issue et une solution.

5. Le profit, plus fort que l’horreur

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200 ans après la publication de Frankenstein de Mary Shelley, le scientifique chinois He Jiankui a annoncé, enthousiaste, qu’il avait modifié génétiquement non pas un, mais deux êtres humains : 2018 s’est ainsi terminée sur un troublant suspense. La même année, d’autres bioscientifiques ont fièrement vanté leur capacité à modifier des populations entières en utilisant le forçage génétique d’extermination (voir le texte du Groupe ETC, « Des technologies Terminator aux technologies Exterminator »). He Jiankui, qui pensait avoir trouvé une solution ingénieuse contre le sida : il avait modifié l’ADN de jumelles pour les rendre résistantes au virus du sida, a cependant été accusé par des critiques de révéler une logique d’eugénisme commercial. Le gang du forçage génétique — dont certains membres possèdent en secret leurs propres start-ups — affirme que ses technologies d’édition génomique permettront de lutter contre le paludisme ou l’extinction de certaines espèces mais en réalité, il crée toute une série d’outils de l’agro-industrie destinés à influencer les systèmes alimentaires du monde entier. Il se peut que la soif de connaissance de certains scientifiques les entraîne sur des chemins obscurs, mais la pratique scientifique devient réellement dangereuse lorsque ces connaissances sont mises au service de la transformation de la vie-même, ou utilisées dans le but d’en tirer parti individuellement ou de construire des carrières d’entrepreneur. Alimentées en partie par la mise en garde du conte de Shelley, les restrictions jusqu’ici imposées sur le forçage génétique et sur les modifications génétiques du génome humain montrent qu’il est possible d’enfermer le monstre de Frankenstein mais qu’il est aussi urgent de surveiller de bien plus près les innovations si l’on souhaite empêcher, dès le début, la création de funestes assemblages.

6. Gavés et pourtant affamés

Selon un article de 2018, un tiers de l’humanité souffre aujourd’hui du syndrome métabolique (ou syndrome X). La clinique Mayo définit ce syndrome comme un « ensemble d’affections — augmentation de la pression artérielle, glycémie élevée, embonpoint abdominal et taux anormaux de cholestérol et de triglycérides — qui augmentent les risques de maladies cardiaques, d’AVC et de diabète ». Le syndrome métabolique est imputable aux « aliments hypercaloriques et pauvres en fibres produits par l’industrie alimentaire » et à la diminution de l’activité physique. Dans le même temps, le manque de nourriture n’a jamais touché autant de gens : un être humain sur neuf souffre de la faim. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’en 2017, 151 millions d’enfants de moins de cinq ans accusent un retard de croissance dû à la malnutrition. Le changement climatique a été identifié comme l’une des principales causes de cette malnutrition : les perturbations qu’il occasionne entraînent la diminution d’éléments nutritifs dans les cultures alimentaires de base.

Il faut aussi mentionner le fait que trop peu de législateurs reconnaissent que la malnutrition est également courante chez les personnes obèses, dont le régime alimentaire dépend énormément du sucre. Le vieux succès de Raj Patel, Stuffed and starved : the Hidden Battle for the World Food System [Gavés et pourtant affamés : la lutte secrète pour le système alimentaire mondial] (Deuxième édition, 2013) résume très bien les tendances mondiales toujours à l’œuvre en 2019, douze ans après sa première publication.

7. Des croquettes pour animaux et/ou êtres humains ? Qu’importe !

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L’agroalimentaire s’achemine vers un paradigme de production alimentaire extrêmement mécanisé où des matières premières telles que le maïs, le soja et le sucre sont traités dans diverses usines à textures et à produits dérivés, puis agrémentées d’arômes produits par des microorganismes de synthèse dans des cuves, alimentés par ces mêmes matières premières. Peu importe si le produit fini s’avère être des croquettes pour animaux de compagnie, des aliments pour poulets de chair ou des chips destinées aux enfants. L’agro-industrie recourt à la même base nutritionnelle déficiente pour tous ces aliments, présentés sous de multiples formes, couleurs et saveurs. Ce modèle de production alimentaire despotique est l’antithèse des agrosystèmes des peuples autochtones, que les cas de la pomme de terre dans les Andes ou du maïs au Mexique illustrent très bien : ces plantes sont cultivées de manière durable depuis des milliers d’années, avec d’autres espèces, médicinales et animales, dans des conditions particulières, et co-évoluent avec les communautés qui en prennent soin et répondent aux modifications du climat, des sols et des vents. L’agro-industrie exploite des innovations technologiques très restreintes pour étendre la présence de monocultures sur une surface de terres assez limitée et les paysans n’utilisent que le quart de ces terres pour alimenter plus de 70% de la population mondiale. L’agro-industrie hautement mécanisée cherche à étendre au monde entier son modèle de production d’aliments pour humains et/ou animaux. Elle vise, pour ce faire, à éliminer la diversité agrobiologique et les peuples qui la nourrissent, en s’emparant à la fois de la terre et des estomacs de celles et ceux qui finiront par grossir les rangs des personnes atteintes du syndrome métabolique.

8. Des enjeux stratosphériques

Le rapport spécial du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur le réchauffement de 1,5° C a ravivé le sentiment d’urgence dans le débat sur le climat. Bien que ces conclusions ne soient pas nouvelles, de nombreux acteurs ont été galvanisés par le ton alarmant des scientifiques, des fonctionnaires et des diplomates fondamentalement conservateurs. Les débats pour savoir comment s’organiser face à cette urgence s’échauffent. Il faudra suivre de très près en 2019 la proposition du gouvernement suisse en matière de gouvernance de la géoingénierie à l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA4) qui se tiendra au mois de mars. Il devrait s’agir d’interdire formellement la géoingénierie — ou du moins de renforcer les moratoires existant à la Convention sur la Diversité Biologique et à la Convention de Londres — mais la discussion pourrait cependant dériver et permettre l’expérimentation et le déploiement de techniques de la géoingénierie. La façon dont les gouvernements cherchent à résoudre l’urgence de la crise climatique est extrêmement importante. S’agira-t-il de solutions impulsées depuis les communautés pour faire face à de multiples crises (nutrition, inégalités, santé, pollution) et pour démanteler les forces structurelles qui ont provoqué les crises climatiques ? S’agira-t-il de solutions technologiques miracle à grande échelle (comme la géoingénierie) qui créeront des bulles financières juteuses et concentreront encore plus le pouvoir au sommet de la pyramide ? D’un nouvel accord écologiste et équitable ou d’une infâme escroquerie de la part des acteurs de la géoingénierie ? Les enjeux n’ont jamais été aussi importants. Les mots nous manquent.

9. La technologie démocratique délibérative

Le Groupe ETC a trouvé du réconfort dans quelques exemples de délibérations et de « reprise de contrôle » populaires. En 2016, le gouvernement irlandais a décidé de revoir son interdiction sur le droit à l’avortement. Il a pris la remarquable décision de confier le débat à une assemblée citoyenne — un échantillon représentatif de femmes au foyer, d’étudiants, d’anciens enseignants et de chauffeurs de camion, mais pas d’élus. Alors qu’en Grande-Bretagne, de l’autre côté de la mer d’Irlande, la devise « reprendre le contrôle » était utilisée pour propager des préjugés, les citoyens irlandais débattaient librement pour que les femmes aient accès à une technologie leur permettant de jouir de leurs droits en matière de procréation. Durant cinq week-ends, ce groupe a discuté des réglementations qui ont obligé plus de 170 000 femmes irlandaises à se rendre à l’étranger pour avorter, souvent en secret, depuis 1980. Finalement, les 99 membres de l’assemblée citoyenne ont voté en faveur d’un changement. Lors du référendum de mai 2018, 66,4% des électeurs irlandais ont exprimé leur accord avec l’assemblée. Bien que ce droit fondamental n’ait pas grand-chose à voir avec une question de technologie, l’Irlande a créé un précédent plein d’espoir en matière de délibération démocratique, qu’elle a de plus allié à une législation nationale décisive qui est déjà entrée en vigueur en 2019. Le Groupe ETC œuvre depuis plusieurs années déjà à la construction de réseaux de la société civile pouvant servir de plateformes d’évaluation technologique et l’exemple de l’Irlande est très encourageant lorsque l’on se demande comment de nouvelles alliances pourraient soutenir ce type d’efforts et avoir un impact positif sur des millions de personnes.

10. L’ère du consentement (libre, préalable et éclairé)

Dans les pays riches du monde entier, le mouvement #MeToo a mis le sujet du consentement sur le devant de la scène, lorsque des femmes courageuses ont dénoncé les agressions sexuelles qu’elles avaient vécu, souvent commises par des hommes puissants et célèbres. La progression du consentement en tant que norme significative dépasse cependant largement ce domaine. Au Canada et en Amérique Latine, les luttes contre les oléoducs et les gazoducs sur les terres des peuples autochtones dépendent du consentement libre, préalable et éclairé (FPIC en anglais) des Nations dont les territoires sont menacés par les pipelines. En 2018, le Groupe ETC a fait partie des groupes et individus qui ont fait pression pour obtenir auprès des Nations Unies des mesures historiques qui exigent désormais le consentement libre, préalable et éclairé de toutes les communautés touchées par une menace de dissémination dans l’environnement d’organismes issus du forçage génétique — comme dans le cas de l’Afrique de l’Ouest. Tout comme dans le cas de #MeToo, la notion de consentement gagne du terrain mais n’est pas encore appliquée uniformément, et les hommes puissants et leurs fondations s’y opposeront. On ne peut sous-estimer la capacité des prédateurs néocolonialistes dotés de technologies de pointe à ignorer, coopter et contourner les normes. Cependant, certains cas très médiatisés modifient les attentes et l’horizon des possibilités politiques en faveur d’un avenir plus consensuel s’illumine.

11. Une agriculture intelligente, à haut débit, habilitée par des réseaux, riche en gènes, et excellant en savoirs et en connaissances

Imaginez un réseau mondial peer to peer dont l’économie de la connaissance contienne des bronto-octets d’informations génétiques particulièrement fiables et des modèles de comportements humain adaptés à des situations bien précises. Imaginez que l’on puisse collecter et exploiter les données produites par ce réseau pour atténuer le changement climatique, mettre fin au problème de la pauvreté et alimenter l’humanité ? Non, non, nous ne sommes pas en train d’essayer de vous vendre la dernière solution miracle de la technologie. Nous faisons évidemment référence au dense réseau mondial de peuples autochtones et paysans qui ont tissé, durant de nombreuses générations, des relations avec la terre et les espèces avec lesquelles ils évoluent, tout en nourrissant la majeure partie de la population mondiale. La valeur de la biodiversité qu’ils protègent, préservent et dont ils prennent soin s’élève, malgré les accaparements de l’agro-industrie, à des billions de dollars — en ce sens que sans cette biodiversité, aucune activité économique n’est possible. Les paysans et les communautés autochtones représentent l’avenir au moins autant qu’ils ne représentent le passé — et espérons bien plus encore. La véritable « agriculture de précision » qui saisit en profondeur les conditions locales, s’y adapte et répond aux besoins réels des êtres vivants n’est autre que l’agroécologie. Les ducs et les seigneurs de l’information n’ont pas encore réussi à se l’approprier et avec un minimum de stratégie, beaucoup de travail et une bonne dose de résistance, nous espérons que ce ne sera jamais le cas.

12. Un nouvel espoir derrière le désespoir

L’érosion rapide des gouvernements et des institutions et la violence qui l’accompagne pourraient ne pas être un simple reflet d’une situation de perte : une transformation a bel et bien lieu, même si l’issue n’en est absolument pas garantie. La mobilisation de nouvelles propositions radicales et les réponses des forces réactionnaires révèlent que les systèmes sont en crise. Nous vivons un moment de cruelle honnêteté, qui est également un moment de possibilités créatives sans précédent. Il y a plus de dix ans, Arundhati Roy écrivait la chose suivante : « Un autre monde est non seulement possible, mais il est en chemin. Par une journée tranquille, je l’entends respirer ». Si un nouveau monde est enfin en train de naître, il se peut que les coups et les pleurs ne soient que des signes de bonne santé.